T’es pas belle quand tu pleures …

Il s’ennuyait un peu chez ma grand-mère ce matin là, enfin pas vraiment, mais il avait envie de sortir. J’ai regardé l’heure, je me suis dit qu’on aurait le temps de faire une petite promenade avant qu’arrive l’heure de faire manger ma Mémé. Nous sommes donc sortis, jour de marché, dans les rues de la ville, nous avons emprunté la rue piétonne, il trottinait tout joyeux à coté de moi, ravi de sa balade.

On s’est arrêté à la pharmacie un instant, il s’est amusé avec leurs jouets à disposition, puis nous avons continué notre route. Il était tout fier de marcher seul, de regarder les vitrines des magasins, repoussant parfois de la main une mèche blonde qui venait lui chatouiller le nez.

Jetant un oeil à mon portable, je m’aperçois qu’il est presque l’heure de rentrer. Mémé à un emploi du temps très fixe; elle mange toujours à la même heure, c’est important de respecter cela, elle est vite perturbée à son âge. De plus son diabète fait qu’elle est souvent en hypoglycémie le matin, ce qui peut être relativement dangereux.

J’explique à mon fils que nous allons faire demi tour, il s’exécute, aperçoit le magasin de jouets, et se dirige automatiquement vers l’entrée. Je lui dis que ok, on peut faire un tour, mais rapide, Mémé nous attend, et puis on achètera rien aujourd’hui. Il ne réclame rien vraiment, mais refuse de sortir, multiplie les tours dans les rayons, je le suis, obnubilée par l’heure qui tourne, par l’idée que Mémé attend.

Je finis par lui dire que cette fois, c’est finit, il faut vraiment y aller. Je lui explique, que Mémé a besoin de nous, il faut qu’on rentre maintenant. Mais lui du haut de ses trois ans ne comprend pas l’urgence de la situation. Il ne sait pas qu’elle s’est levée à 6h, qu’elle a donc déjeuné très tôt, et qu’elle a vraiment besoin de manger maintenant. Que je devrais peut être en rentrant, si je la trouve trop pale, lui faire une dextro pour vérifier sa glycémie. Il ne sait que si elle est en hypoglycémie, elle risque de faire un malaise, et que si nous ne rentrons pas à temps, il faudra un moment pour que ça remonte, et qu’elle sera mal pour le reste de la journée. Il ne peut pas comprendre, que Mémé a faim, maintenant, que c’est son rythme, l’heure à laquelle elle mange, et qu’elle ne sait être perturbée.

Non, lui tout ce qu’il comprend, c’est que je lui ai promis une promenade, et que finalement il ne l’aura pas. Que je lui ai dit qu’il pourrait regarder les jouets, et que je suis là, pressée, et que je ne comprend pas qu’il n’a pas finit de tout regarder. L’impuissance et la frustration le gagne, alors qu’il comprend qu’on va partir quoiqu’il fasse, et sa colère éclate alors que je le prend dans mes bras pour l’emporter loin des jouets.

Et elle est forte, sa colère, et complètement légitime. A cet instant ou je comprend que quoique je dise ou fasse, il ne me suivra pas, je comprend aussi l’erreur de cette balade. On avait pas assez de temps. Il s’attendait à faire le tour de la ville comme toujours, flânant entre les magasins, au lieu de ça il a eu une mini promenade d’une demi heure à peine, et il n’a pas eu le temps de finir dans le magasin de jouets.

Il y était bien, pourtant, au milieu des jouets. Je lui répétais qu’on en achèterait pas, mais il n’en était pas vraiment sur. Après tout pour en avoir, il suffisait de sortir les sous du sac et de les donner au monsieur, et si il n’y en avait plus des sous, on pouvait toujours signer dans le petit carnet, ou aller en chercher à la machine. Et puis de toute façon, il était bien au milieu des jouets, juste là à les découvrir et à les rêver. A les imaginer ouverts, entre ses doigts. Tous ces Playmobils dans leur bateaux et dans leur super maison, cette caisse enregistreuse avec tous ses boutons si plein de promesse d’amusement, toutes ses choses qu’il n’a pas à lui.

Alors il a hurlé quand je l’ai pris dans mes bras. J’ai tenté de lui expliquer, entre deux hurlements, pourquoi il fallait vraiment qu’on parte, mais il ne pouvait pas l’entendre. Je l’ai porté contre moi, comprenant qu’entre la fatigue et la frustration, il ne trouverait pas en lui l’énergie qu’il lui aurait fallu pour renoncer et pour me suivre. Je l’ai porté alors qu’il hurlait, lui chuchotant à l’oreille du réconfort et de la douceur.

J’ai accueillit ses émotions, j’ai tenté de les faire miennes pour mieux le comprendre. Je n’ai pas tenté de le raisonner. J’ai mis des mots, là ou il avait si mal. Dans ce tourbillon de colère qui ne faisait plus qu’un avec lui. C’était vraiment très frustrant, et ça n’est pas un sentiment agréable. Il y avait bien de quoi être en colère, et c’était normal qu’il ne puisse se retenir de l’exprimer. Ca ne se contient pas, la colère, il faut que ça explose.

De temps en temps sur le trajet, je le posais sur ses pieds, et tentait de le guider dans la bonne direction alors qu’il se débattait pour repartir vers le magasin. Alors je le portais à nouveau contre moi, parlant à sa joue. C’était vraiment difficile pour lui, je lui disais. Il n’arrivait pas à gérer, et je le comprenais.

Les gens autour de nous se retournaient, regards réprobateurs, secouant leurs têtes, moues et rictus désagréables au coin des lèvres. Ils m’agaçaient un million de fois plus je dois avouer, que les hurlements stridents de mon fils contre mon oreille. Beaucoup restaient figés dans la direction du spectacle qu’on leur offrait, probablement plus agacés par le fait que je n’étais pas en train de gifler mon fils, que par les hurlements en eux même. Je le lisais aisément dans leur regards, une bonne fessée, ça le calmerait.

Vraiment? Je ne crois pas non. Il aurait certainement hurlé de plus belle, sous la douleur de l’humiliation et des coups, mais les gens auraient été satisfaits. Parce qu’il aurait été corrigé de sa terrible faute: être en colère dans la rue. Parce que ça n’arrive jamais à personne d’autre, non. Ces gens qui nous regardaient, ils sont parfaits. Il ne sont jamais en colère, et ils ne connaissent pas la frustration. Ils ne sont pas fatigués non plus. Jamais. Et surtout ils n’ont jamais eu trois ans.

Un couple de personne âgés nous regardent, ils s’arrêtent pour nous observer alors qu’ils allaient entrer chez la fleuriste. Tournés vers nous. Elle sourcils levés et bouche ouverte, en état de choc devant le scandale qui prend forme sous ses yeux, et lui les lèvres retroussées en un rictus réprobateur. J’arrive à leur hauteur avec mon tout petit hurlant et se débattant entre mes bras, et le vieil homme s’avance vers mon fils, regard moqueur, agitant son index devant son petit visage et lui lance, décuplant ainsi les hurlements de mon fils, « et ben tu es pas belle quand tu pleures! »

« Et vous, vous êtes très moche! » Les mots sont sortis seuls de ma bouche. Alors que je faisais volte face vers cet homme pour prendre la défense de mon petit. Ils sont sortis seul de moi, de mon ventre, sans que je les réfléchisse, sans que je les ai décidé, et ils m’ont fait un bien fou. Je crois que c’est la première fois que j’arrive à articuler quelque chose, n’ayant aucune répartie je reste toujours muette dans ce genre de situations, à mon grand désespoir. L’homme reste stupéfait, et je continue ma route, mon petit vexé toujours dans mes bras, grommelant que franchement, de quoi je me mêle? Il est qui pour insulter mon fils de trois ans celui-là.

La colère se passe, doucement, comme elle est venue. En faisant diversion, en cherchant un chat dans une ruelle, en caressant un petit chien, en cherchant à décider de quelle couleur est cette voiture, beige ou grise? La colère finit toujours par passer. Elle est saine, la colère, elle a besoin d’être exprimée.Et je suis ravie qu’il ait assez confiance en moi pour me la confier cette colère, quand il la ressent, parce que moi je serai toujours là pour la recevoir. Sa colère, ses peurs, ses frustrations, ses frissons, et ses bonheurs, tout son panel d’émotions, je serait toujours là pour les accueillir. Et il n’y a pas d’âge pour avoir des émotions.

Je suis toujours interloquée de voir combien on demande des choses difficiles aux enfants, des choses qu’ils ne sont pas en mesure de gérer. Il aurait peu être fallu que mon fils se plie à mes exigences, qu’il sorte du magasin, sans rechigner, sans ressentir la moindre émotion, simplement parce que je lui demande de le faire. Ou alors qu’il ravale sa frustration, sans se plaindre, dans une situation qui aurait pourtant frustré bien des adultes. Il aurait fallu qu’il sache maitriser sa colère parce que crier dans la rue ça ne se fait pas. Il aurait fallu qu’il fasse tout ça, du haut de ses trois ans.

Il a fait ce qu’il a pu, en fait, avec ses petits moyens, et son vocabulaire pas encore tout fait finit: il a hurlé sa colère, et il a bien fait.

 

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14 réponses à “T’es pas belle quand tu pleures …

  1. il m’est arrivé la même chose dernièrement (pareil, le magasin de jouets, l’heure qui tourne, la colère, la vieille qui sort à mon loustic qu’il est pas beau quand il pleure…) et tu sais quoi? j’ai répondu pareil: « et vous, vous vous trouvez belle? » … non mais oh!

  2. ça m’arrive très souvent au parc, quand ma fille (22 mois) fait une crise de frustration parce que le petit « copain » ou « copine » lui a enlevé le jouet auquel elle tenait tant dans l’instant … dans les magasins pour le moment ça ne m’est pas (encore !!) arrivé mais comme je me fous éperduement du regard des autres, ça ne m’impacte pas.

    Par contre, je suis tout à fait capable de répondre aux gens comme tu l’as fait 😀

  3. Moi aussi ça me rend folle ! Quand je fais mes courses j’en ai pour 2h, alors oui pour mes enfants c’est très long… Tom (7mois) en écharpe Nynah (4ans) ou Gabriel( 6 ans) , je n’emmène jamais les 2 en même temps, avec moi, souvent ça se termine avec des enfants excités qui ne souhaite qu’une chose c’est sortir de là pour pouvoir courir et toucher à tout ce qu’ils veulent ! Tu peux être sûr que à chaque fois il y a soit des réflexions genre  » au ce pauvre bébé regarde juste tenu avec un bout de tissus » auquel je répond  » en Afrique on travaille au champs avec les bébés portés comme ça ils ne tombe pas ! » ou alors les réflexions  » oh une bonne claque elle/il arrêterait de le réclamer son paquet de gâteau! » et moi je répond « mêlez vous de vos courses JE suis sa mère et J’ai décidé de le/la laisser chouiner! » et là je regarde mon enfants « Chouine un peu plus fort mon ange le Monsieur il va peut être te l’acheté ton paquet de gâteau puisqu’il veut que tu te taise! »
    Je ne supporte plus qu’on parle à mes enfants, je ne supporte plus qu’on parle de mes enfants! non un claque ne résout rien au contraire il n’y a rien de pire pour envenimer les choses !

  4. Tu as vraiment bien réagit. Et à la colère de ton fils, et face à ce monsieur qui se permet une réflexion.
    J’avoue, avant, quand je voyais un enfant faire un scandale dans un magasin, je me disais que les parents ne savaient pas le gérer et qu’il faisait un caprice (par contre jamais je n’ai pensé une bonne fessée et hop ça va le clamer). Maintenant que je suis maman, je comprends mieux, je comprends qu’un enfant vit pleins d’émotions qu’il ne peut pas gérer tout seul et que pour évacuer il crie et il pleure et que nous ses parents sommes là pour le sécuriser. Alors si ma fille un jour réagit comme ton fils, je ferais comme toi.
    Et si quelqu’un se permet une réflexion, je lui répondrais ^^
    Et si j’en ai marre des gens qui me regarde d’un air accusateur/réprobateur, je me sens même capable de crier à la foule « Et vous, vous n’êtes jamais frustré ? Vous n’avez rien d’autre de plus intéressant à faire que de nous juger ? » 😉

  5. Une fois, pendant que je faisais mes courses et que Chichi râlait dans le caddie, un papy a voulu faire diversion. Je ne sais plus trop ce qu’il lui a dit, peut-être « il faut écouter ta maman ». Puis Chichi lui a tiré la langue. Le papi lui a répondu un truc comme « Tu as bien raison de ne pas te laisser faire. De quoi je me mêle, tu ne me connais pas ».
    Bref, j’ai apprécié car bien souvent les papis et mamies se mêlent de se qui ne les regardent pas. Je ne suis pas sûre que ce soit méchant. Je pense même parfois qu’ils espèrent nous sauver d’une situation qu’on ne maîtrise plus ou qu’on semble ne pas maîtriser mais ils le font maladroitement.
    « Tu n’es pas beau/belle quand tu pleures », c’est la réflexion fétiche des anciennes générations. Je pense même que mon père le dit. Tout comme mon père dit souvent « tu vas avoir une fessée si tu ne fais pas si ou ça », lui qui n’a quasiment jamais donné de fessées à ses enfants…
    Ils ont eu une éducation différente de celle qu’ils nous ont donné et de celle qu’on donne à nos enfants.

  6. J’essaie d’être indulgente mais je n’avais pas aimé quand ma vieille voisine m’avait dit « allez vous occuper de tous vos mioches » alors que je prenais le temps de discuter avec elle par politesse (alors que je déteste ça) et qu’eux en avaient assez de m’attendre devant la porte.

  7. J’aurais voulu etre une petite souris pour voir la tronche du papy tiens ! Mais je te comprends, comme ça fait du bien !!

  8. j’adhère pas du tout au « faut que les enfants s’expriment  » etc oui ils ont le droit d’être frustrer ou en colère mais non ils ne doivent pas gêner les autres ! et je parle en connaissance pour avoir eu le cas dans un bus avec une maman incapable de se faire entendre et un gamin qui hurlait de colère ! le chauffeur lui a même proposer de descendre le temps de le calmer et de prendre un bus suivant , elle a refusé et je peut vous dire que tout le bus a été soulager quand enfin elle est descendu

    et mon éducation m’interdit de répliquer à des personnes plus âgées que moi question de respect quoi !

  9. Bravo !
    Je suis entièrement d’accord avec toi !
    J’avoue que je n’ose jamais répondre, moi aussi je manque de répartie quand on me sort des énormités dans ce genre de cas. Et ce n’est que 10 min après que je une belle phrase que j’aurai pu dire !
    Alors BRAVO !

  10. Moi ça m’agace quand on demande par rapport à un bébé: alors elle/il est sage? sous-entendu: il/elle ne pleure pas? J’ai toujours répondu, souvent assez sèchement, ben, c’est un bébé, il n’est pas là pour être sage! un bébé, ça pleure quand il a quelque chose à dire (comme un petit fait une crise).

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